mercredi 26 juin 2013

Day 16 - Nowa Huta

Escapade en solo du côté de Nowa Huta, quartier socialiste des années 60...
et un peu de lecture aussi...




Ma dernière image de Cracovie sera donc celle-là. Rêve socialiste d’ordre et de béton alphabétisé. Nowa Huta. J’aimais bien me traduire ce nom, Nowa Huta, par « nouvelle maison », cela me semblait rassurant, logique et poétique ; mais huta, c’est l’aciérie, celle voulue par l’Union Soviétique des années 60.
Je ne voulais pas y venir. Peur de ne rien y trouver qu’une grise banlieue inhospitalière. Peur d’y perdre un temps dont je ne savais que faire. Peur du vide. Les façades colorées et les vieux pavés autour du Rynek dans le centre sont tellement plus faciles.
Par ennui peut-être, je montai donc à bord du tram numéro 4. Pendant trente minutes, je laissai les vitres du tram dérouler le film suranné d’une sortie de ville. J’entendais, lointains, l’acier des aiguillages, le caoutchouc et les pistons des portes-accordéons et quelques éclats de voix de-ci de-là en syllabes imprononçables. J’écoutais Biolay, je crois. Prenons le large. Du centre vers la banlieue. De l’éternelle carte postale vers le vieux bouquin jamais réédité. Du cœur vers l’ailleurs. Tous les deux ou trois arrêts, je me levais pour aller vérifier la carte placardée des lignes de tram et tenter en vain de mémoriser l’ordre et le nom des stations à venir. Revenu à mon siège, cherchant à justifier le voyage, égaré en syllogismes, j’en oubliais de lire le nom de l’arrêt. Je ne me sentais nulle part et avec une destination si floue qu’elle serait sans nul doute impossible à rejoindre. Ca n’était pas plus mal après tout. Je me trouvais bien. Vaguement étrange étranger aussi.
A l’approche de ce qui pouvait ressembler à mes pauvres fantaisies, je me décidai tout de même à quitter mon tram, incertain. Là, sur le quai, sortant une cigarette, je demandai mon chemin. L’homme d’abord me tendit du feu, avant de comprendre ma drôle de question. C’est ici. – je me souviens du centre ville d’une petite ville américaine où ma voiture était tombée en panne, j’avais demandé à un habitant incrédule où pouvait bien se trouver le Downtown.
Devant cette banalité tant imaginée qui m’entourait, je n’osai sortir l’appareil photo de mon sac, me disant que je passerais pour un pervers et au mieux pour un fou.
Je pestai un temps de n’avoir même pas pris la peine de lire la page de mon guide sur cet endroit, et savoir envoyer mes pas dans une direction moins aléatoire. Barres de béton grises, bagnoles, gravillons. Conformes à mes angoisses. Alors j’avançai vaguement guidé par l’intuition et sinon le hasard. Devant une porte de garage ouverte affichant une playmate de magazine, je sortis l’appareil à la dérobée et pris la photo. Dans le garage, un type réparait sa moto sous les crachouillis d’une radio. Il y avait là-dedans quelque chose de rassurant ; j’aurais pu faire la même photo à Toulouse, Londres ou Miami. J’avançai encore jusqu’à me trouver nez à nez avec un plan gigantesque de la ville dans la ville. Lisant les plaques alentours, j’identifiai rapidement que le bloc où je me trouvais se nommait B-33, mais demeurai bien incapable de préciser davantage ma position. Un enfant sur un tricycle approchait, suivi d’un jeune couple. Lorsqu’ils furent à ma hauteur, je les appelai à l’aide pour qu’ils posent mon doigt sur un you are here oublié du cartographe symétrico-maniaque.
A ce moment-là, commencèrent à s’échapper de moi le vide et l’inutile, l’errance et la perte : l’anglais irréprochable du monsieur et le sourire de l’épouse, la conscience des points cardinaux, le soleil soudain plus vaporeux entre les bâtiments. Je ne m’attendais à rien de bien précis en venant ici, mais stupidement je n’avais surtout pas imaginé que l’on puisse y sourire et y vivre. Naïveté de voyageur du dimanche, sans doute.
Je renonçais peu à peu à tous les clichés escomptés de verticales grises, droites et austères, de lignes de fuite parallèles à ne jamais se rejoindre et de volumes immenses et surtout inhabités. Immiscé dans un quotidien n’attendant ni rien ni personne, partant de la Plaç Centralny débarrassée de Lénine en 89, sous les rayons obliques d’un soleil tranquille d’une fin d’après-midi printanière, loin du monument passéiste imaginé, je pris un plaisir rare à regarder les gens vivre, comme moi dans un ailleurs, dans une banalité toute splendide. Grand-mère donnant la becquée à sa petite fille, étudiante de retour de l’université, gamins en rollers, grand-père en costume, serveuse à la robe bleu électrique dérobée in extremis à l’objectif. Nowa Huta n’est plus qu’un nom parmi d’autres, un joli nom, le nom d’un quartier de la ville, ni plus ni moins nostalgique ou soucieux qu’un autre. Un nom comme un autre, qui ne se traduit pas.

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